ARTICLE II
Des crayons jaunes
79. Il y a, sous le nom de couleur jaune, bien des nuances différentes, celle, du soufre, du citron, de la jonquille, celle du jaune proprement dit, ou couleur d’or, l’orangé ; l’aurore, enfin le souci, qui fait passage du jaune au rouge.
80. C’est par des mélanges que se composent dans le pastel la plûpart de ces nuances. Or nous ne parlons, quand à présent, que les couleurs principales. Nous allons donc nous borner, dans cet article, aux matières qui les fournissent, & parler, en premier lieu, de l’ochre jaune.
81. Quoique cette ochre non plus que la craye, n’éprouve aucune altération de l’influence de l’air, il est beaucoup plus indispensable de la purifier pour la dépouiller de toutes les particules de fer & de gravier qu’elle contient en plus ou moins grande quantité. Les ochres d’ailleurs sont toujours mêlées d’un peu d’acide vitriolique, ce qui rend la précaution de les purifier encore plus indispensable. On ne doit jamais laisser dans les couleurs aucune espèce de substance saline, & ceci regarde indistinctement tous les genres de Peinture, auxquels on attache quelqu’importance, mais principalement la Peinture à l’huile.
82. Il faut donc délayer l’ochre dans un grand vase en fayance, avec beaucoup d’eau, toute trouble dans un autre vase, après l’avoir laissée reposer un instant, pour laisser les parties grossières se précipiter. On jettera ce sédiment, qui n’est que du fer ou du sable. Une heure après, l’ochre, suspendue dans l’eau, sera déposée. Jettez l’eau, mettez en de nouvelle, & délayez, puis versez l’eau toute trouble dans des cornets de parchemin que vous suspendrez au dos d’une chaise. Lorsque l’ochre sera rassemblée dans le cornet, séparez la, par une ligature, d’avec le sablon qui s’est précipité le premier, & qui n’est bon que pour le peinturage des boiseries, & faites-la porphiriser après avoir jetté l’eau ? Vous en formerez des crayons, aussitôt qu’elle sera maniable & pourra se paîtrir ou rouler sur le papier, sans s’attacher aux doigts. En un mot, c’est la même opération que celle dont nous avons parlé sous le n°57 au sujet de la craye.
83. L’ochre brune ou de rue, & la terre d’Italie, doivent être traitées de la même manière. Il faut bien les purifier avant de les porphiriser & les mettre en crayons.
84. Les marchands de couleurs vendent ces substances toutes broyées à l’eau. Mais ils se sont contenté de les porphiriser toutes brutes, & sans les purifier par lavage. Il reste par conséquence beaucoup de particules de fer, qui quoique bien atténuées par la molette, peuvent, outre l’acidité vitriolique, altérer les couleurs après l’emploi dans la peinture à l’huile.
85. Parmi les ochres brunes, il y en a une, connue sous le nom de terre de Venise ou de Sienne. Elle est très compacte, semblable dans sa cassure, à la terre d’ombre, ou plutôt à la gomme-gutte, c’est-à-dire luisante. Elle est de couleur canelle ou maure-doré.
Cette matière a de l’apparence, & l’on en fait beaucoup d’usage dans la Peinture à l’huile ; mais elle ne vaut rien, quoique fort chère (1). C’est du fer, dissous par les acides minéraux, tel qu’en produisent les fabriques de vitriol. On croiroît, à la voir, qu’elle a beaucoup plus d’intensité que l’ochre brune. Mais outre qu’elle est bien moins solide, elle prend le même ton sous la molette, & calcinée, elle y devient beaucoup plus orangée.
86. Il est aisé d’avoir une ochre factice plus pure & plus belle. On met sur l’herbe, à la rosée, de la limaille de fer dans une grande assiète. En peu de jours la surface de cette poudre se couvre de rouille. On la broye légèrement sur le porphire avec un peu d’eau. La rouille se détache & l’eau s’en charge. On la coule au travers d’un linge dans un autre vase. Quand l’ochre s’est précipité par repos, on jette l’eau. C’est ce qu’on appelle du safran de mars.
La limaille d’acier, noyée dans l’eau pendant quelques tems, produit de même une autre espèce d’ochre d’un fauve très-obscur & presque noir. C’est ce qu’on nomme de l’éthiops martial. Cet éthiops, calciné sur le feu, devient d’un rouge brun très-beau. L’on trouve du safran de mars & de l’éthiops martial chez les Epiciers-Droguistes.
(1) Elle se vend à Paris jusqu’à vingt-quatre francs la livre.
Venons au stil de grain.
87. Nous avons vu que c’est une préparation de craye qu’on a colorée en jaune avec le suc de la graine d’Avignon par le moyen de l’alun. On compose, à-peu-près de la même manière, pour l’usage de la peinture, plusieurs autres couleurs différentes, & c’est dans ce sens que l’on peut dire, avec un Ecrivain d’une très-grande réputation, mais que les Sciences viennent de perdre, que « la plupart des pastels ne sont que des terres d’alun teintes de différentes couleurs » (1).
En effet, si l’on met une certaine quantité d’alun dans une décoction de plantes colorantes, la terre de sel quitte son acide & saisit les principes colorans. Telle est la base principale des stils de grain.
(1) Histoire natur. Des miner. Par M. de Buffon, art. alun.
88. Mais comme il reste presque toujours dans cette composition des parties salines de l’alun dont il faut absolument la dépouiller, elle exige des soins indispensables.
Après avoir fait laver le porphire et la molette, précaution qu’il faut toujours prendre, chaque fois qu’on passe d’une couleur à l’autre, faites broyer le stil de grain avec un peu d’eau. Jettez-le après cela dans une très grande quantité d’eau chaude bien pure. Délayez-le quelques intans avec une spatule ou cuiller de bois, & laissez le reposez un jour ou deux. Alors jettez l’eau sans agiter le vase, jusqu’à ce que le sédiment soit prêt à tomber, & versez-le, avec l’eau qui reste, sur du papier à filtrer que vous aurez étendu sur un linge, par exemple un mouchoir, suspendu par ses quatre angles, ou sur une chaise, afin de soutenir le papier. Quand le sédiment sera sec, il se lèvera de lui-même en écailles. Mettez le sur le porphire avec un peu d’eau, pour faire donner quelques tours de molette, & le reste comme pour le blanc de Troyes, n°57. On peut même broyer dès que l’eau sera passée au travers du filtre, & qu’il n’en restera plus que ce qu’il faut pour tenir la pâte un peu liquide.
89. Toutes ces précautions-là sont indispensablement requises pour les stils de grain. Quelquefois même, on est obligé de les arroser encore sur le filtre, avant qu’ils soient bien secs. Comme il entre beaucoup de sels dans ces sortes de composition, d’un côté, les crayons seroient durs comme un clou, si l’on négligeoit de les bien laver pour les dessaler complètement ; de l’autre, la couleur, surtout à l’huile, ne manqueroit pas de se charger tôt ou tard de cette efflorescence qu’on peu remarquer sur l’alun & les autres vitriols, ce qui ne peut que dégrader un tableau. C’est un soin que les fabricans eux-mêmes devroient prendre avant de les mettre dans le commerce, mais ils s’en dispensent pour gagner davantage ; le poids est plus fort& la peine moindre.
De leur côté, les marchands qui vendent les couleurs en détail toutes préparées, soit à l’eau, soit à l’huile, ceux même qui composent les pastels, ne se doutent pas seulement de la nécessité de prendre cette précaution. Ces derniers pour remédier à la dureté des crayons de stil de grain, se contentent de broyer avec un peu d’esprit de vin. Je suis, à-peu-près, sûr que c’est là tout leur secret. L’esprit de vin rend effectivement ces matières la très-friables, malgré l’abondance des sels qui sont entrés dans leur composition. Mais on voit que cela ne suffit pas.
90. Au reste, ces formes de crayon doivent plus particulièrement que les autres, sêcher à l’ombre, vû que les stils de grain ne donnent pas une couleur indélébile. Je ne proposerai pas d’y substituer l’orpin jaune. Cette drogue est horriblement dangereuse, & la couleur n’en vaut rien, de quelque nuance qu’elle soit & quelque nom qu’elle porte, car il y en a de soufre, de jonquille, & d’orangé, qu’on appelle orpin rouge, orpiment, réalgar.
91. Il y a pareillement dans le commerce des stils de grain de différentes nuances, depuis le citron jusqu’à l’orangé. Quelques marchands appellent celui-ci jaune royal. Ce jaune m’a paru tiré de la racine du curcuma, nommé autrement terra merita ; cette couleur est peu solide. On en trouve sous le nom de stil de grain d’Angleterre. La puérile manie de donner ce nom à toutes les productions de l’industrie, s’est étendue jusqu’à la Peinture, quoique ce soit, dans cette matière sur-tout, le moins imposant de tous les titres. On employe de même en Angleterre celui de France comme passeport aux yeux de la multitude, les noms font les choses. Les compositions qu’on appelle de la sorte, sont ordinairement d’une couleur fauve ou maure-doré, & se vendent quinze ou vingt sols l’once. Quelquefois elles sont de couleur de bouë & se vendent encore plus cher. Il y en a même sous le nom de stil de grain brun, qui ne sont très-souvent qu’un mélange de stil de grain jaune & de terre d’ombre, ou de bistre. C’est ce qui est aisé de voir en y regardant de près, ou si la supercherie est assez bien déguisée, on peut s’en assurer en le faisant rougir sur le feu. Le véritable doit y devenir blanc avec quelques nuances de matière charbonneuse ; l’autre y prend la couleur de rouille de fer, ou celle du bistre. Quand au stil de grain jaune ou doré, le seul dont il s’agit dans cet article, un moyen de s’en assurer, s’il est bon, c’est d’en écraser avec du bleu de Prusse, un peu moins de ce dernier que de stil de grain. Ce mélange doit donner une poudre d’un beau vert, pur & net.
92. On trouve dans un écrit composé sur le peinturage, qu’on a quelquefois apporté de l’Inde une graine appelée d’ahoua, (ahouaï, sans doute ; c’est une espèce d’apoçin dont le fruit est dangereux), & qu’on pouvoit en composer un stil de grain jaune fort solide & fort beau. Nous aurions à désirer bien d’autres végétaux propres à la teinture & Tel est le cariarou, dont les feuilles, pourroient fournir une couleur voisine de celle de l’écarlate ; les feuilles de l’alcana, sorte de troëne d’Egypte, qui produisent encore un rouge solide. Les bayes de balisier, plante de la Guiane, qui donnent un pourpre fort riche ; la racine du Mascapenna qui teint en cramoisie ; le tsai de la Cochinchine, plante qui fermentée comme celle de l’indigo, dit M. Poivre, donne un vert d’émeraude très solide & très-absorbant, le bois de taauba, c’est une espèce de mûrier qui teint en jaune comme tous les arbres de la même classe. Mais nous n’avons pas besoin, pour cette dernière couleur, d’aller chercher au bout de la terre ce que nous pouvons trouver dans nos champs. La nature y prodigue une foule de végétaux propres à la composition des stils de grain. C’est aux fabricans à tenter des essais dans ce genre. Nous foulons aux pieds beaucoup de substances dont on peut tirer les jaunes très-brillants Mais le point capital est de leur donner de la solidité. L’on employe ordinairement dans cette vue que de l’alun. Je crois que la préparation suivante remplira mieux ce but, sur-tout pour la Peinture à l’huile, & que les couleurs n’y perdront pas du côté de l’éclat.
93. Versez dans une caraffe une once d’acide nitreux, & moitié moins d’acide marin. Ce mélange est ce qu’on nomme de l’eau régale ; ayez soin d’éviter qu’il ne vous tombe sur les doigts. Joignez-y, s’ils sont très-fumans, un petit verre d’eau de fontaine ou de rivière bien limpide. Faites dissoudre dans ce mélange de l’étain, soit de Malaca, soit de Cornouailles, réduit en petits fragmens (1). Ajoutez de l’étain par intervales, jusqu’à ce que le disolvant n’agisse plus. Alors mettez la caraffe sur la cendre chaude, pour que l’eau régale achève de se saturer.
94. Les plantes avec lesquelles on a coutume de composer des stils de grain, donneront un jaune, un peu moins brillant peut-être avec cette dissolution, mais plus permanent qu’avec l’alun. Faites bouillir, par exemple, à petit feu, pendant une demi-heure, dans deux pintes d’eau de fontaine, une poignée de petites branches de peuplier d’Italie, coupée en petits morceaux. Ajoutez ensuite à la décoction, deux poignées de tiges de gaude fraîche, ou même sêche, telle que la vendent les Epiciers. Laissez la bouillir quelques instans, & joignez-y cinq ou six gros de sel de tartre en poudre, avec une petite cuiller de sel commun ; laissez un moment la décoction devant le feu, mais sans bouillir, & coulez-la dans un plat de terre au travers d’un linge. Versez dedans, goute à goute, & par intervales, cinq ou six gros de la dissolution d’étain dont nous avons parlé n°93.
Quand l’effervescence aura cessé, faites chauffer le plat, afin qu’une grande partie de l’eau s’évapore. La chaux métallique, versée dans la décoction, lâche son dissolvant, saisit les molécules colorantes, les retient & se précipite incorporée avec elles, pendant que le dissolvant, qui s’unit à l’alkali du tartre & du sel marin, nage dans la liqueur. Mais il faut le séparer du précipité. C’est ce qu’on peut faire par ce moyen de la filtration, l’eau passe au travers des pores du papier gris ou lombard, entraînant avec elle tous les sels qu’elle tient dissous, & laisse le précipité qui forme une laque jaune. Il est bon de l’arroser encore sur le filtre & même abondamment, pour achever de le dessaler.
(1) Le moyen le plus court pour réduire ce métal en grenaille, c’est de le faire fondre sur le feu dans une cuiller de fer & de le verser, par goute, dans un vase plein d’eau.
95. Ce serait un véritable stil de grain si l’on mettoit dans la décoction de gaude sur un peu de craye bien broyée avant d’y jetter la dissolution d’étain. La composition par ce moyen seroit plus volumineuse, mais c’est tout ce qu’elle y gagneroit, quoiqu’il soit vrai néanmoins que les substances alkalines exaltent presque tous les jaunes.
96. On peut substituer à la gaude une herbe encore plus commune, la fumeterre. On la trouve dans les jardins & chez tous les herboristes. Verte ou sêche il n’importe. Le jaune est, à-peu-près, comme celui de la gaude, & non moins durable.
97. Les plantes qui suivent donneront aussi des jaunes francs, jonquille, souci, maure-doré, ou verdâtres également solides.
Le bois de fumac de Virginie.
Les petites branches des alaternes.
Celles de l’arbre aux anémones.
Celles du thuya de Canada.
L’écorce du peuplier d’Italie ainsi que ses nouvelles branches.
La tige & les feuilles de la sariete.
Les fleurs encore fraîche ou séchées à l’ombre du jonc marin.
L’oeillet d’Inde, tige, feuille & fleurs.
La graine d’Avignon.
La grande camomille ou œil de bœuf.
Le bois de Fustel.
La racine de curcuma, ou terra merita.
98. C’est de la graine d’Avignon bouillie avec l’alun, comme on l’a remarqué plus haut, que se compose ordinairement le stil de grain. Les trois plantes qui la suivent, dans l’ordre ci-dessus, donnent un jaune moins solide que celles qui l’y précédent. Celles-ci qui seroient excellentes pour la teinture, suivant les épreuves qu’on en a fait avec la dissolution de bismuth (1), fourniront de même, traitées avec celle de l’étain, de très-bonnes couleurs de différens genres de peinture, excepté la fresque & l’émail. Il n’y faut pas employer pour base la chaux de bismuth, parce qu’elle est très sujette à se dégrader.
99. Quand aux minéraux propres à fournir le jaune, indépendamment des ochres, il se trouve dans le diocèse d’Uxèz en Languedoc, tout près d’un endroit appelé
Cornillon, une terre très-fine, d’un jaune citron, dont la couleur résiste au feu (2). Comment n’en a-t-on pas mis dans le commerce ? Est-il si difficile de se la procurer ? Peut-être n’auroit-elle point de corps à l’huile ; mais au moins ce seroit une importante acquisition pour la fresque, le pastel, la détrempe & la fayancerie.
100. On se sert communément dans tous ces genres de Peinture, de jaune de Naples, en Italie giallolino, petit jaune. Un grand nombre de Physiciens & de Chymistes ont tâché de deviner qu’elle peut-être cette préparation, dont on a prétendu qu’une seule famille napolitaine possède le secret (3) ; cependant nous avons en France quelques fabriques de fayance & de porcelaine qui la possèdent également, de sorte qu’on va chercher à Naples ce qu’on pourroit trouver ici ; mais chacune d’elles en fait un grand mystère. On veut pouvoir se négliger impunément sur la bonté de la matière & sur le travail, sans avoir de concurrence à craindre. Ce secret, le voici. Douze ou treize onces d’antimoine, huit onces de minium, quatre onces de tuties. On pulvérise bien les drogues. On les passe au tamis pour les mieux mêler. On les met, de l’épaisseur de deux doigts, sur des assiètes non vernissées & couvertes d’une feuille de papier. Ces assiètes, on les place dans le four de la fayancerie, au-dessus de toutes les casettes immédiatement sous la voûte. Quand la fayance est cuite, on retire ce mêlange. Il est dur, greveleux, & d’un jaune assez vif, mais qui devient citron, presque chamoix, lorsqu’il est porphirisé. Voilà le jaune de Naples. Si l’on vouloit composer des pastels, il suffiroit de le broyer à l’eau pure. Il faut broyer long-tems. On peut garantir la solidité de cette couleur, employée en émail ; mais à l’huile, non, les Artistes se plaignent qu’elle devient verdâtre, lors sur-tout qu’on l’amasse avec un couteau de fer sur le porphire ou sur la palette.
(1) Recueil des procédés sur les teintures de nos végétaux, par M. d’Ambourney, Paris chez Pierre, 1786.
(2) Histoire natur. Du Languedoc, par M. de Genssane, pag. 158, 159.
(3) Mém. de l’Acad. des Sciences, année 1766.
page 303 = Dictionnaire d’hist. Natur. Verb. Ochre = Voyage d’un François en Italie, par M. de la Lande, tom. 6, pag. 396 = L’Encyclopédie, etc.
101. Le mercure, dissous à l’aide du feu par l’acide vitriolique, fournit une préparation d’une couleur jaune très-riche. C’est le turbith minéral ou précipité jaune. L’on en trouve dans la plupart des pharmacies. Quelquefois il est d’un jaune pâle, quelquefois même un peu gris. Mais lorsqu’il est bien conditionné, plus on le lave, plus la couleur est vive. Cependant je ne proposerai pas de l’employer dans la Peinture, car il n’est pas insensible aux vapeurs de foye de soufre. J’en ai d’une très belle couleur d’or sur lequel cette vapeur ne fait aucune impression mais qui ne résiste pas au contact même de la liqueur. Si peu qu’elle y touche, le mercure est sur le champ revivifié…..
102. Le hasard, dans le moment même ou j’en étois là, m’a fait apercevoir dans un bocal, chez un marchand de couleurs, une poudre jaune qu’il vend depuis deux ou trois ans ; m’a-t-il dit, sous le nom de jaune minéral. J’en pris une once qui m’a coûté vingt sols. Quelques heures après, étant rentré chez moi, j’ai considéré ce jaune & l’ai reconnu pour du turbith mercuriel. Ce qui me l’avoit d’abord fait reconnoître, c’est qu’il est d’une couleur un peu pâle. Je l’ai soumis à quelques épreuves pour m’en assurer. La vapeur de foye de soufre l’a, sur le champ, rembruni ; voilà donc le turbith minéral dans le commerce pour l’usage de la Peinture, sous le nom de Jaune minéral ! Il étoit nécessaire qu’on sût à quoi s’en tenir là-dessus, & voilà pourquoi je suis entré dans cette explication.
103. Le bismuth, dissous par l’acide nitreux, forme des cristaux qui, sur le feu, laissent échapper leur acide & le changent en une belle chaux de diverses nuances
de jaune. Il y en a de soufre & d’orangé, suivant la plus ou moins grande proximité de la flamme ou la violence du feu. Je ne doute pas que cette chaux ne réussît mieux dans la poterie, au moyen de la couverte vitrifiée de l’émail, que le jaune de Naples, comme plus haute en couleur. Elle est très-fixe, & se vitrifie plutôt que de se volatiliser. Mais il ne seroit pas possible de l’employer dans la Peinture à l’huile ; aux moindres exhalations putrides, elle devient noire, encore plus vîte que le turbith mercuriel.
104. Il en est de même de toutes les chaux de régule d’antimoine, à l’exception de la neige qu’il donne par la voye de la sublimation. J’en ai déjà parlé dans l’article précédent, n°65.
105. Mais le zinc peut fournir un très-joli jaune pour lequel le même inconvénient n’est pas à craindre. Il suffit de la faire bouillir long-tems dans du vinaigre un peu fort. Il s’y dissout, forme des cristaux de sel qui n’attirent point l’humidité. Ce sel, mis sur le feu, dans une capsule de fer, détonne un peu, jette une légère flamme & se fond. Si l’on pousse le feu, l’acide s’évapore & la matière se convertit en chaux de couleur jaune (1), c’est celle que prend aussi le mêlange du cuivre rouge & du zinc, mêlange qui compose le cuivre jaune ou laiton.
Comme les chaux de ce demi-métal sont très-irréductibles, on peut croire que celle-ci fourniroit toujours le jaune le plus solide qu’on pût désirer. On vient de voir qu’il n’est pas difficile à faire.
(1) Traité de la Dissolution des Métaux, par M. Monnet
106. Il seroit inutile, après cela, de parler de quelques autres préparations de la même couleur, telle que les massicots. Ce sont de véritables chaux de plomb qu’on peut obtenir en calcinant sur la braise, dans une pelle en fer, du blanc de plomb réduit en poudre. Il y prend diverses nuances, depuis le soufre jusqu’à l’orangé, suivant les divers coups de feu qu’il reçoit ; & c’est ainsi qu’on fait, avec des cailloux pulvérisés & des chaux de plomb, des émaux & des pierres fausses très-semblables à la topase pour la couleur. On calcine les cailloux, on les éteint dans l’eau pour mieux les réduire en poudre, on y joint de la potasse bien purifiée, do borax calciné, de la craye & du blanc de plomb. Ce mêlange tenu sur un feu violent pendant neuf ou dix heures, donne un cristal factice, for dur & for beau. Ce cristal avec du minium ou mini, fait cette fausse topase dont nous venons de parler. Avec de l’or, dissous par l’eau régale et précipité par une dissolution d’étain, il fait des rubis faux, & des saphirs de la même espèce avec du safre. Le safre est une chaux de régule de cobalt. Un peu de safre & de précipité d’or, font, avec cristal, la fausse améthiste. Il joue l’émeraude avec du cuivre, dissous par l’acide nitreux & précipité par l’alkali fixe, & l’hyacinthe avec une dissolution de fer par le même acide, etc.
Pour revenir au massicot, il faut éviter sur-tout, lorsqu’on tint, pour le faire, le blanc de plomb sur le feu, que les charbons le touchent. Il l’auroient bientôt revivifié. Mais on doit éviter encore plus d’en revivifier la vapeur. Elle est funeste. En un mot, ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’abandonner aux émailleurs et fabricans de poterie, ces préparations de plomb ; puisqu’on peut s’en passer dans la peinture au moyen des indications que je viens de fournir, qu’on juge de leur effet par l’épreuve que voici. J’avois mis à l’entrée de l’hiver, sur une carte, au bord d’une fenêtre qui donnoit sur la rue, de la céruse que j’avois, fait passer à la couleur jaune, un peu safranée par le moyen du feu. Quinze jours après, je trouvai ce massicot à l’extérieur totalement couleur plomb.
C’est ainsi que si l’on écrit avec une dissolution de bismuth, faite avec de l’acide nitreux, cette écriture d’abord invisible, devient noire dès qu’on l’expose à la vapeur d’un peu de foye de soufre sur lequel on a versé quelques goutes de vinaigre. C’est ce qu’on appelle de l’encre simpathic. Ces sortes d’encres peuvent avoir leur utilité. Mais quoique très secrètes en apparences que l’écriture en chiffres, elles le sont encore moins.
Un particulier (1) vient de composer une espèce d’alphabet au moyen duquel on écriroit avec la plus grande rapidité. Sa méthode peut trouver son application dans certaines circonstances. Personne sans clef, ne parviendroit jamais à déchiffrer cette écriture (2).
Revenons au pastel, & passons à la composition des crayons rouges.
(1) M. Coulon de Thévenot.
(2) Voyez le peu de confiance qu’il faut donner à l’écriture en chiffre ; dans les Mémoires du Cardin. de Retz, tom.
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