ARTICLE IX

Résumé du Chapitre III

 192. TELLES sont les manifestations au moyen desquelles on peut tirer des crayons en pastel des différentes substances colorées en état d’en fournir. Je n’ai point trouvé de moyens plus sûrs & moins embarrassants que l’eau, pour celles que l’art a préparées, & que le feu pour celles que la nature a produites. C’est, en dernière analyse, le résultat des articles qui précèdent. Il revient à-peu-près, mais avec moins de déchet, au procédé qu’employent les Peintres Flamans. Ils ne prennent que la crème des couleurs après les avoir délayées & noyées dans une grande quantité d’eau. Les autres observations roulent sur des recherches analogues aux besoins de la Peinture, & principalement de la Peinture à l’huile. On sait qu’il lui manque des couleurs capitales. Je m’étois engagé de traiter cette matière dans toute son étendue. Mais j’ai tâché d’aller au-delà du plan que j’avois embrassé. Je crois même en avoir dit assez pour que le talent n’ai plus à ce plaindre de l’infidélité des couleurs. Il ne lui restera qu’à la développer dans des sujets dont le choix puisse faire rechercher ses ouvrages. Il ne suffit pas pour cela, de se traîner sur les pas de ceux qui nous ont précédés. Comme en littérature, les productions originales font éclore beaucoup de copies, on voit de même en Peinture d’insipides imitateurs. Il faut être soi ;  laisser aller son génie vers sa pente naturelle. En quittant l’école il seroit bon d’en laisser les opinions à la porte. La Peinture est encore ce qu’étoit la littérature au tems des savans en us (1). On ne connoît que les Grecs & les Romains, ont diroit qu’ils sont tout l’Univers ; que l’héroïsme & les grâces abhorrent tout autre costhume que le leur. Je ne saurois trop le répéter, étudions les Anciens pour nous tenir toujours près de la nature, mais ne craignons pas d’étendre la carrière, & de mettre sous les yeux des nations, un spectacle qui soit à leur portée & les rappelle à elles-mêmes (2). Les grands Ecrivains sont les législateurs des Empires par les grandes vérités qu’ils répandent. Ainsi les Peintres seront à leur tour les bienfaiteurs de leur patrie s’ils savent l’intéresser à leurs compositions, & lui montrer le chemin de l’honneur dans l’exemple de ses propres vertus (3). De tout tems, & chez toutes les nations, l’amour des richesses est le mobile universel. Mais cette passion rétrécit l’âme, l’avilit (4) ; son ascendant ne peut-être balancé que par l’amour de la gloire. Or, quel moyen plus puissant pour faire naître l’amour de la gloire, que l’attrait des monuments érigés à la vertu. La postérité ne recherche point les images des hommes corrompus & flétris.
(1) Hodie que manent vestgia runis.
(2) Nec minimum manuere decus ; vestigia græca                      H.O.R.
(3) Quid virtus, quid sapienta poscit utile proposuit robis exemplar. H.O.R.
(4) Turpi fregerum sœcula luxum, divitiæ molles                        JUVEN

Ce sujet est vaste & nous mêneroit loin. Revenons.

 193. Les mêmes recherches sont communes à la Peinture & au pastel, quoiqu’elles aient moins de besoins, & peuvent augmenter ses richesses. Il ne seroit pas impossible qu’il y eût d’autres expédiens que ceux que j’indique pour composer des crayons & rendre les substances traitables, indépendamment de celui de l’esprit de vin. Mais à coup-sûr, il n’en est pas de plus simple à cet égard, ni même de plus certain pour assurer les couleurs, que ceux que j’ai proposés, & je crois n’avoir omis rien d’essentiel, quoique je n’aie pas le moindre secours & n’aie trouvé dans les Auteurs aucune espèce de notion (1). Peut-être suis-je entré dans des détails minutieux. Mais il étoient nécessaires pour aplanir les difficultés à ceux qui veulent essayer leurs forces, difficultés qui souvent découragent les talens heureux. Si les Auteurs de l’Encyclopédie, si les Académies des Sciences ne dédaignent pas de s’occuper de la pratique des Arts & Métiers, je ne dis pas les plus vils, car il n’y a de vil que l’intrigue ou l’inutilité, je n’ai pas dû rougir de considérer le plus aimable de tous les arts, la Peinture, dans ses rapports avec la physique, afin que le talent ne soit pas dégradé par la matière.

(1) M. de Piles, dans ses élémens de Pein-

 197. Au reste, il y a des amateurs à qui les soins & les préparations dont je viens de parler, pourture, dit bien quelque chose du pastel, mais ce qu’il en dit n’apprend rien. pouroient ne plaire pas, quoiqu’on pût les regarder comme un amusement semblable à ceux que procurent les exercices du corps. Ils pourroient aujourd’hui réparer une substance, demain l’autre, & faire ensuite porphiriser toutes leurs préparations. En tout cas, ils trouveront à Paris, chez les marchands de couleurs, & dans les Provinces, chez les marchands d’estampes, des crayons tout préparés. On en apporte de Francfort, d’Ausbourg, de Nuremberg, qui sont très-durs. Quelques personnes vantent ceux qui se fabriquent à Lausanne suivant les procédés d’un nommé Stoupan, qui n’est plus. Ils sont d’une forme très-régulière, & d’un coup d’œil fort net. Mais un Artiste, jaloux d’obtenir, avec le suffrage de ses contemporains, ceux de la postérité, peut-il se reposer sur autrui du choix des matières, lorsque les mêlanges qui les déguisent ne permettent pas de les reconnoître, qu’il ignore si l’on s’est donné la peine de les amener au degré de pureté convenable, & même si ceux qui les préparent se sont jamais doutés de la nécessité de le faire ? Tous ceux qui peuvent en faire une certaine consommation, doivent d’ailleurs désirer de s’épargner cette dépense.

 195. Quant aux personnes qui s’essayent & dont les ouvrages ne sont pas destinés à jouir d’une éternelle durée, il est très-indifférent que les substances ayent été préparées avec un soin particulier. Pourvû que les crayons soient friables, cela doit leur suffire, quand même ils auroit peu de choix dans les matières. Qu’importe pour elles ; par exemple, que les teintes laqueteuses soient composées de laque ou de carmin, puisqu’elles sont assez long-tems le même effet ? Elles peuvent, en un mot, employer sans inconvénient les substances les moins précieuses ; &, s’il faut les traiter par le lavage, afin d’éviter la dépense de l’esprit de vin, c’est moins pour les purifier que pour les rendre traitables.

 Après avoir exposé la manière de composer les crayons de couleurs capitales, ce qui fait l’objet principal, quant au matériel de ce genre de peinture, nous allons expliquer, en très-peu de mots, celle de former les diverses nuances qu’il faut y joindre.

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